Jardin d'amour

Le réveil

Xavier se réveillait tout doucement, les rayons du soleil commençaient à filtrer à travers le store. Il s'étendait de tout son long, c'est-à-dire 1m40 à un poil de chameau près. Ses pieds commençaient à toucher le bout du lit, et il passait bien 10 minutes tout les matins à se passer les barreaux entre les orteils.
« - Xavier dépêche-toi, ta grand-mère est déjà là et tu n'est pas prêt. »
L'horloge affichait 5h30 du matin alors qu'un « Oui maman » s'extirpa avec difficulté des entrailles de l'oreiller. Un pied, puis l'autre, Xavier mettait la machine en route. Ses yeux clignèrent, son esprit se retrouva, le jour tant attendu était enfin là: direction la salle de bains. Il monte sur sa petite estrade pour arriver au robinet et commence sa toilette comme un grand. Il était déjà bien organisé pour son âge et il ne tarda pas à descendre déposer des gros poutous à toutes les joues qui se tenaient devant lui. Sa mère était fière de lui, et sa mamie s'essuya la joue d'un revers de main.

Mamie!

Mamie avait soufflé ses 65 bougies le mois dernier. Elle était aux côtés d'écureuils, de renards, de colibris, de chevaux, etc... dans la prairie qui bordait sa maison. Une table avait été installée pour la famille et les amis mais beaucoup d'entre eux eurent un rendez-vous chez le coiffeur ou chez le dentiste ce jour-là. Le festin ne fut pas perdu pour autant, car ses autres amis à quatre pattes s'en étaient chargé joyeusement. Ce n'est pas qu'elle était méchante, mais on ne pouvait nié son fort caractère. En fait depuis toute petite avec les animaux, elle avait nourri pour eux une forte amitié et avait d'un autre côté délaissé un peu sa famille et ses amis. Pourtant, Xavier avait toujours été attiré par cette grand-mère irascible. Elle était parfois rustre, parfois dure, mais qu'est-ce qu'elle était drôle! En fait Xavier partait tout les ans passer ses vacances avec les animaux et grand-mère. Elle lui apprenait comment construire une cabane, comment traire une vache, comment nourrir les lapins, ou encore comment reconnaître des champignons. Il revenait alors à la ville la tête pleine d'aventure, de rêves, de souvenirs et d'amour. Grand-mère se réjouissait de profiter d'un tel compagnon à chaque été. Tout deux étaient devenus très complices. Elle lui avait même, depuis quelques années, réservé sa chambre d'ami, autant dire que depuis ses 3 ans Xavier avait trouvé une deuxième maison. Un petit coin de paradis, un petit village où il a vécu ses premières expériences, où il a eu son premier amour, ses premières blessures,... Mamie était donc devenue sa confidente, sa meilleure amie, sa mamie chérie. Xavier semblait vraiment être le candidat idéal, grand-mère en était persuadé. Ce secret qu'elle avait si bien gardé avec son défunt mari allait enfin trouvé un nouvel élan, un nouveau propriétaire. Xavier allait enfin être lié profondément aux racines de cette terre, pour le meilleur comme pour le pire.

Orage

Les cicatrices et les bleus passaient sur Xavier, c'était un petit garçon plein d'énergie. Mais dans le même temps, les rides avaient rattrapé le sourire de sa mamie. Elle perdit pied un sale jour d'octobre, un jour d'orage, ou plutôt une nuit. Les nuages roulaient sur leur ventre en grondant, elle, rendait son dernier souffle, un éclair frappa la maison de Xavier. Le lendemain, tout le monde était abattu, Xavier resta couché tout la matinée, étrange! Ses parents préférèrent le laisser dormir avant de lui apprendre la terrible nouvelle. 12h08, on entendit un gros bruit venant du dessus. Les parents accoururent pour voir l'endormi. Il était tombé de son lit, l'air hagard, tout en sueur. Sa maman le releva doucement et l'emmena à la salle de bain pour lui rafraîchir les idées.

Un rêve post-monitoire

Un peu plus tard, Xavier se réveilla pour de bon, tout habillé, il descendit prendre son petit déjeuner et ne trouva pas son papa. Pourtant il avait tellement hâte de lui raconter son rêve, et de lui dire qui il avait vu cette nuit. C'est alors que la porte du jardin s'ouvrit, son père entra, il avait les yeux tout rouges et fuyait le regard de son fils. Un lourd silence résonnait dans la pièce, la machine à café se mit alors en branle. Xavier finissait ses céréales, et d'une bouche encore pleine:

« - Bon'our pa chéri, t'es fait mal?
- Non Xavier, ne t'inquiètes pas. Et toi comment ça va? Je t'ai vu tombé et t'étais tout en sueur. Tu n'aurais pas fait un vilain cauchemar?
- Oh papa, tu sais j'ai fait un beau rêve en fait! Je me suis retrouvé dans la prairie avec mamie, c'était trop bien. »

Le père ne voulait pas montrer sa tristesse, mais une larme coula tout de même pour mamie, sa maman.

« - Il faisait très beau, mamie m'avait emmené voir l'accouchement de Josie, sa jument. Mamie avait l'air paniqué mais elle s'en est occupée comme une chef. Ce n'était pas très beau à voir mais quand le petit cheval se redressa sur ses pattes, mamie s'est mise à pleurer, et moi aussi. Je ne sais pas pourquoi.
- Tu as de la chance, dit son père. Tu sais, mamie m'avait aussi fait pleurer quand j'avais ton âge en m'emmenant voir la naissance de Josie.
- Oh, ah bon!? s'exclama Xavier. Nous, après, on a bien installé la Josie et Nicolas, c'est comme ça qu'il s'appelle. Et on est reparti avant qu'il fasse nuit, main dans la main, avec mamie. Elle était encore habillée avec son vieux tablier bleu, elle était belle. Sur le chemin, on s'est reposé au bord d'un bois, à l'ombre. Mamie voulait qu'on parle, alors on a parlé.
- Ah! Et qu'est-ce qu'elle voulait te dire?
- En fait, tu vois, elle voulait me prévenir qu'elle allait partir un peu. Elle voulait aller revoir papi qu'elle m'a dit. Je l'ai pas cru. À ce moment la pluie est arrivée, alors on est resté à l'abri plus longtemps. Après, elle m'a parlé de toi, papa.
- Oh Xavier, t'es pas obligé de tout me dire.
- Elle m'a demandé de te dire qu'elle t'aime fort, qu'elle t'embrasse et que tu lui manquerait. Elle a dit d'autres choses alors j'ai tout noté sur une feuille pour ne pas oublier mais elle est restée dans le rêve. Dis, tu ne m'en veux pas, hein, papa?
- Non fiston, c'est gentil de t'être souvenu d'autant de détails, bégaya son père qui avala son café bouillant malgré lui.
- De toutes façons, j'avais pas le choix , mamie m'a fait répété plein de fois et elle m'a dit que si j'oubliais, j'aurais plus jamais de desserts.
- Ne t'inquiètes pas. C'est bien maman ça, le rassura-t-il pensivement. Et après, tu t'es réveillé?
- Non pas encore mais j'ai presque fini papa. Alors, après on est parti dans le bois, il continuait à pleuvoir, elle disait qu'on allait prendre un raccourci mais en fait on a marché longtemps. On est arrivé jusqu'à un gros rocher. Et là mamie s'est assise et m'a pris sur ses genoux. Ensuite elle a cueilli un fruit, il était très bon. Je sais pas ce que c'était, mais je me souviens que c'était blanc et sucré. Dis, papa tu pourras en ramener à la maison?
- Eh bien, si tu ne sais ce que c'était, ça va être dur d'en trouver, mais je regarderais quand même. Bon, allez, continue ton rêve, dis moi la suite.
- Je me souviens plus après papa. À ce moment c'est tout noir dans ma tête. J'ai entendu un gros éclair à côté de la maison, ça m'a réveillé, je crois que j'ai redormit et maman est venue parce que je suis tombé. Là je sais que je rêvais plus.
- Non mon chéri, après tu ne rêvais plus. Quand on t'a entendu tomber on a eu très peur, avec maman. En tout cas, ton rêve était bien n'est-ce pas? Mais c'est bizarre.
- Pourquoi papa?
- Eh bien, mamie, ma maman est vraiment partie cette nuit, elle a rejoint mon papa.
- Oh, et moi qui la croyait pas, fit Xavier, à la fois triste et déçu. Alors elle est partie, se répéta-t-il. Mais tu sais, je suis sûr qu'on se reverra tous un jour, ne t'inquiètes pas mon papa chéri.
- Oui, sûrement... »

Voilà, c'était dit, et ça avait été plus facile que prévu, tant mieux. Xavier n'avait pas l'air très surpris ni très déstabilisé. Peut-être n'avait-il pas compris, finalement. Ou peut-être faisait-il semblant, pour son père?

La main verte

Quelque temps plus tard la vie reprit ses petites habitudes. Xavier avait poussé d'un coup alors il avait eu droit à un nouveau lit! Sa maman allait bien, elle s'était mise en tête de s'occuper du jardin pour faire plaisir à mamie qui aimait tant la nature. Elle était très étonnée parce qu'elle savait qu'elle n'était pas très douée et pourtant tout poussait merveilleusement bien, et vite. Même les plantes d'intérieur, toutes flétries et fanées avaient retrouvé une seconde jeunesse. De son côté, le père reprenait doucement du poil de la bête. Lors de la cérémonie d'enterrement, il avait même retrouvé son frère avec qui il n'avait pas reparlé depuis 10ans, un bien pour un mal, la vie est comme ça. Xavier aimait bien aller dans le jardin aider sa mère. Il avait un talent certain; il plantait, arrosait, et presque comme par magie tout poussait superbement bien. Presque rien d'anormal, jusqu'au jour où il s'endormit à même la pelouse. Une heure plus tard, sa mère revint le trouver dans la même position. Les bras et les jambes de Xavier étaient devenus complètement invisibles. De longues herbes l'avaient entouré délicatement. Il était recouvert, comme embaumé, il était également entouré d'une petite troupe d'écureuils, de chinchillas et de plusieurs autres animaux. Sa mère tenta de s'approcher, les petits protecteurs la laissèrent passer mais tout en gardant un oeil sur Xavier. Elle s'agenouilla et le réveilla, quelques efforts plus tard il parvint à se dégager. La petite troupe poilue repartit à ce moment d'où elle était venue, par les quatre coins du jardin. Sous lui, la pelouse avait poussée incroyablement, elle était aussi plus verte et ici et là des petites fleurs aux pétales noires étaient sorties de terre. Sa maman ne put s'empêcher de pousser un cri devant ce spectacle ahurissant. Son père accourut mais ne trouva rien de mieux à faire que de fixer le sol.

Dernier cadeau

Un peu plus tard, Xavier s'était installé dans le fauteuil et refaisait doucement surface. Il distinguait la voix de ses parents à travers la porte de la cuisine. Lui se sentait apaisé, serein. Il décida d'aller jeter un coup d'oeil à ce qui inquiétait tant ses parents. C'était encore là, à côté des rosiers de sa mère. Les fleurs noires dansaient sous le vent. Xavier alla les rejoindre et s'installa à côté, comme une mère veillant sur ses enfants. Sa maman l'aperçut à travers la fenêtre, son père la prit alors dans ses bras et ils restèrent ainsi à l'épier. Quelque chose avait changé, leur fils semblait posséder un don et il venait de se manifester. Tout les deux ne pouvaient qu'avoir une pensée pour mamie, leurs liens avaient été si forts. Après quelques minutes et l'apparition de nouvelles pousses à pétales noires, Xavier rentra à la maison le plus naturellement du monde et alla jouer dans sa chambre. La petite famille passa le reste de la soirée devant un jeu de société. Xavier avait gagné la partie, mais il était l'heure d'aller se coucher. Oui, presque tout allait bien, les parents étaient rassurés de voir Xavier en bonne santé.

Un amour de grand-mère

Passage par la salle de bains, Xavier se brossa soigneusement les dents et se mit en pyjama, puis il se dirigea vers le petit autel qu'ils avaient érigé peu après cette triste nuit. Deux petites bougies parfumées aux fruits des bois veillaient sur le visage d'ange de mamie, le tout entouré de plantes pour qu'elle puisse reposer dans son élément. Xavier s'approcha de l'un des pots et sentit une grande énergie le porter. C'est alors qu'une magnifique fleur, aussi bleue que les yeux de mamie, se dressa de toute sa beauté. Xavier était fier de lui, il était content d'avoir eu une mamie aussi fantastique. Même s'il ne savait pas comment, Xavier comprenait petit à petit que ce don était son dernier cadeau. Une preuve d'amour inestimable, et il comptait bien l'honorer aussi souvent que possible; pour sa grand-mère bien aimée.

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